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Mary ROBINSON
  Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

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Allocutions d'ouverture
Federico Mayor
Mary Robinson
Jacques Chirac
Les Violations des Droits de l'homme
Robert Badinter
Les réfugiès
Nathalie Duhamel
Ahmedou Ould Abdallah
Pauvreté et droits sociaux
Jean-Baptiste de Foucault
Martin Almada
Le racisme
Paul Bouchet
Themba Sono
Les crimes contre l'humanité
Mireille Delma-Marty
Elie Wiesel
Raymond-François Le Bris
Résistera-t-elle aux nouvelles questions du 20ème Siècle?
L'éducation
Francine Best
Luiz Perez de Aguirre
L'environnment
Michel Mousel
Todor Kavaldjiev
La bioéthique
Jean-Pierre Changeux
Ryuchi Ida
Les nouvelles technologies
Sophie Barluet
Jean-Piere Teyssier
A l'heure de la Mondialisation
Robert Badinter
Réalité des droits politiques et économiques
Jacques Santer
Miquel Angel Martinez
Michel Hansenne
Jacques Diouf
Droits des femmes dans le monde
H. A. Diallo Soumare
Nicole Pery
Les droits sociaux et culturels sont-ils partagés?
Gro Harlem Brundtland
Aminata Sow Fall
Ahmedou Ould Abdallah
L'homme et la mondialisation
Sa Sainteté Tenzin Gyatso
Rapport de Synthèse
Luc Ferry
Grands Témoignages
Richard von Weiszacker
Rigoberta Menchu
Cornelio Sommaruga
Lea Rabin
Kim Phuc
Abderrahmane Youssoufi
Kim Dae-Jung
Maha A. D. Shammas
Cérémonie de Clôture
Federico Mayor
Kofi Annan
Robert Badinter
Lionel Jospin
Page d'accueil
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Directeur général de l’UNESCO, Excellences, Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un plaisir très spécial de revenir à Paris pour cette occasion historique.

Il y a cinquante ans, un groupe d’hommes et de femmes de cultures, de traditions et de confessions diverses, réunis à Paris, offraient à l’humanité une vision extraordinaire de ce que le monde pourrait être et adoptaient la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est hautement symbolique que nous nous réunissions aujourd’hui en ce lieu pour commémorer cet événement, tout d’abord, parce que c’est à Paris que les auteurs de la Déclaration ont exposé le résultat de leurs travaux, mais aussi parce que ce pays et cette ville sont étroitement associés dans l’esprit des hommes à la quête philosophique et à l’idée de justice sociale. Il suffit d’évoquer les grands penseurs du siècle des lumières, comme Rousseau et Voltaire, dont l’intérêt passionné pour la condition humaine a ouvert la voie à nombre de concepts que nous appelons aujourd’hui droits de la personne humaine.

I. Un message d’espoir

La déclaration des droits de l’homme est un message d’espoir. Elle puise sa force morale dans l’affirmation de la foi dans les droits fondamentaux de l’être humain, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité et l’inaliénabilité des droits des hommes et des femmes ainsi que des nations, grandes et petites.

C’est un message d’espoir qui s’adresse aux pauvres, aux défavorisés, aux opprimés. Ce message leur dit : " Vous n’êtes pas seuls. Vous n’êtes pas impuissants. Vous avez des droits qui sont universels et fondamentaux. "

La déclaration reste aujourd’hui l’un des textes les plus clairs et compréhensibles sur les droits fondamentaux de l’être humain. A l’occasion du cinquantième anniversaire, notre premier objectif devrait être de diffuser davantage la Déclaration à travers le monde.

II. Transformer l’espoir en action

En cette veille d’un nouveau millénaire, il convient de nous demander si nous avons vraiment été à la hauteur des attentes de ceux qui ont rédigé cette Déclaration. Comment œuvrer davantage pour ceux dont les droits de la personne ne sont pas encore respectés ? Comment allons-nous relever les défis que pose l’avenir ?

Sur le plan institutionnel, beaucoup d’actions ont déjà été réalisées. La notion de droit universel et indivisible de la personne est devenue légitime, tout au moins officiellement. Un corpus substantiel de législations découle de l’adoption de cette Déclaration. Il existe tout un mécanisme complexe de défense des droits de la personne.

Mais la pierre de touche est l’exécution de ces lois. Il convient de savoir si les objectifs de la Déclaration et des textes juridiques qui ont suivi se traduisent, dans la réalité, par la défense des droits des individus. La Déclaration représente un défi considérable pour les gouvernements. Elle leur donne une liste objective de normes, que leurs institutions et leurs pratiques doivent atteindre.

Pourtant, comment ne pas être plongé dans la désolation quand on compare la réalité de la situation des droits de la personne dans le monde avec les objectifs idéalistes promulgués dans la Déclaration universelle ? Il n’est pas nécessaire de les énumérer. Vous les connaissez bien.

Même les Etats riches ne respectent pas leur obligation de prendre soin des membres vulnérables de la société. Les droits des personnes âgées, des handicapés, des chômeurs, l’accès universel aux soins médicaux se trouvent bafoués quotidiennement. L’obligation, en vertu de l’Article 14, de respecter les droits des demandeurs d’asile est assujetti à des considérations de nature financière. Nous accordons une aide humanitaire aux victimes des famines et des conflits, plutôt que d’attaquer de front les questions afférentes aux droits de la personne, au cœur même de leurs problèmes.

Lorsque nous mesurons le respect des droits économiques et sociaux et le droit au développement, nous constatons combien nos actions sont loin des objectifs. Un milliard et demi de personnes gagnent moins d’un dollar par jour. Le même nombre de personnes n’a pas d’accès à de l’eau potable. Un tiers de la population en Afrique sub-saharienne ne vivra probablement pas au-delà de l’âge de 40 ans.

Il est malheureusement clair que les inégalités à l’intérieur et entre les sociétés ne diminuent pas. Bien au contraire, elles s’accroissent. Nous courons le danger d’atteindre un stade où le monde sera divisé, non pas entre pays développés et pays en voie de développement, mais entre pays surdéveloppés et pays qui ne se développeront jamais.

Nous sommes confrontés à une absence de volonté de la part des gouvernements, à une incapacité à dresser des priorités et à reconnaître les contradictions inhérentes à une politique pratiquée. Les gouvernements peuvent produire les armements les plus sophistiqués et consacrer 800 milliards de dollars par an à ces dépenses. Mais ils regardent tranquillement le fossé entre les riches et les pauvres s’élargir.

Nous avons un long chemin à parcourir, avant de pouvoir conclure que les normes incorporées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ont été véritablement mises en pratique.

III. Les défis à relever

Nous pouvons et nous devons faire plus. Il ne suffit pas d’être épouvanté par les violations des droits de la personne, ni de les dénoncer. Nous devons concevoir de nouvelles stratégies et les améliorer pour empêcher de nouvelles violations. Les enjeux sont immenses. La crédibilité de nos institutions est en cause. Nous devons prouver que la tolérance vaut mieux que l’intolérance, que la diversité et le pluralisme surpassent le racisme et la discrimination sexuelle, que le partage du pouvoir vaut mieux que l’autoritarisme, que la paix est préférable à la guerre. Les souffrances des personnes défavorisées et de ceux qui voient leurs droits déniés doivent servir d’avertissement permanent contre la complaisance.

Pour commencer, nous devons reconnaître les changements profonds que connaissent nos sociétés :

  • Des croyances et des valeurs sont partout contestées. Il n’est pas exagéré de parler d’un vide moral et éthique dans de nombreuses sociétés. Mais en même temps, certains chefs religieux cherchent à imposer leurs croyances par la force à leurs coreligionnaires.
  • Des technologies révolutionnaires, notamment dans le domaine de la santé, suscitent de nouvelles et profondes questions éthiques. Le projet de génome humain, le clonage, les organismes génétiquement modifiés donnent tous naissance à des questions fondamentales à propos de la nature et des droits de l’individu.
  • Le débat sur l’environnement devient tous les jours plus urgent. Nous épuisons les ressources de la Terre comme nous ne l’avons jamais fait auparavant. L’échelle du problème et le lien très étroit entre les violations des droits de la personne et la dégradation de l’environnement ont conduit à des appels, non seulement en faveur des droits de la génération présente, mais aussi pour les droits des générations futures.

Nous devons faire face à ces changements considérables et prendre en considération également le déplacement du pouvoir qui apparaît dans la société. Les Etats ne sont plus aussi puissants qu’ils l’étaient par le passé. C’est là un des changements les plus significatifs depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En 1948, le rôle de l’Etat avait une importance manifeste. L’Etat était perçu comme un garant et une menace. Aujourd’hui, de nombreuses questions fort importantes pour le citoyen sont décidées par d’autres acteurs. La mondialisation de l’économie se répand rapidement. Aujourd’hui, plus que jamais, les économies nationales dépendent d’événements extérieurs et de décisions prises en dehors des frontières nationales.

IV. La voie vers un nouveau partenariat

Des idées originales et de nouvelles stratégies sont indispensables si nous voulons traiter à la fois les questions de droit de la personne au sens traditionnel du terme et les nouveaux défis lourds de conséquences qui émergent. Voilà comment je vois le nouveau partenariat qui devrait s’instaurer entre les parties concernées par les questions afférentes aux droits de la personne humaine :

1. Les Nations Unies

Une responsabilité particulière incombe à ceux d’entres nous, membres des Nations Unies, qui ont en charge de prendre les initiatives. J’ai été touchée par les progrès effectués, suite à l’incorporation dans tous les programmes des Nations Unies d’engagements explicites vis-à-vis de la promotion et de la défense des droits de l’homme. Cet effort provient de l’initiative du Secrétaire général, monsieur Kofi Annam, et je lui suis très reconnaissante de son soutien sans faille. C’est un grand privilège d’être Haut Commissaire aux droits de l’homme auprès d’un Secrétaire général aussi attaché à la défense des droits de la personne.

2. Les Etats

Les Etats ont une responsabilité spéciale dans la défense des droits de leurs citoyens et dans la promotion d’une culture des droits de l’homme. La rhétorique doit s’accompagner d’actes. Le renforcement de la capacité nationale est essentiel. Les Etats ont le devoir d’établir des institutions dans le domaine des droits de l’homme qui soient accessibles à tous. Ils devraient également nouer des partenariats avec leurs citoyens et les Organisations Non Gouvernementales. Ils devraient partager les informations et les ressources. Ils devraient permettre aux défenseurs des droits de l’homme d’accomplir leur tâche, qui est vitale. Leur approche des droits de l’homme doit être transparente, de manière à évaluer les progrès réalisés. Les droits de la personne peuvent également être l’objet d’une coopération entre Etats.

3. Les sociétés transnationales

Un pouvoir immense et des responsabilités conséquentes reposent entre les mains des sociétés transnationales. Environ 500 entreprises contrôlent un tiers du PNB mondial et trois quarts des échanges commerciaux de la planète. Une douzaine d’entreprises domineront bientôt tous les aspects de l’industrie alimentaire. Il n’est donc pas étonnant que nombre de décisions soient passées du niveau national à l’échelle supranationale, du cabinet des ministres au conseil d’administration des grandes sociétés multinationales. Il existe une dimension immense afférente aux droits de l’homme dans les activités des sociétés transnationales. Souvent, celle-ci n’est pas reconnue. Je me réjouis de constater que ces sociétés reconnaissent de plus en plus la nécessité de respecter la dimension éthique de leurs activités. Cette démarche reflète les préoccupations des consommateurs et des actionnaires éclairés. C’est une tendance qui devrait se développer et se consolider. Une évaluation de l’impact dans le domaine des droits de l’homme des grands investissements devrait s’effectuer de façon tout à fait routinière. C’est l’intérêt des grandes sociétés, car une bonne éthique est synonyme de bonnes affaires.

4. Les instances multilatérales

Les organisations multilatérales jouent également un rôle vital. Le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale exercent souvent une grande influence quand un Etat fixe sa politique économique et ses priorités. Les conséquences humaines des politiques de ces deux instances peuvent être profondes. Pourtant on a l’impression qu’elles n’ont pas pris suffisamment en considération les conséquences et les implications pour les droits de l’homme de leurs actions. Le dialogue avec les institutions de Bretton Woods et l’Organisation Mondiale du Commerce doit donc s’intensifier. Tous les programmes et toutes les politiques appliqués par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale devraient être conformes aux normes internationales dans le domaine des droits de l’homme.

5. Les Organisations Non Gouvernementales

Au fur et à mesure que le rôle de l’Etat diminue, l’importance des Organisations Non Gouvernementales s’accroît. La fonction des ONG est bien résumée par Aung San Suu Kyi : " La vigilance et la coopération active des organisations en dehors des domaines officiels sont indispensables pour assurer le respect des quatre composantes fondamentales du paradigme des droits de la personne, tels qu’ils sont identifiés par le Programme des Nations Unies pour le Développement : la productivité, l’équité, la durabilité et l’autonomie. Le développement doit être réalisé par le peuple et pas uniquement pour le peuple. Les gens doivent participer pleinement aux décisions et aux processus qui façonnent leur vie ".

6. Le rôle de l’individu

Un aspect de la Déclaration, qui mérite davantage d’attention, est l’accent mis sur les obligations et les responsabilités des individus. L’Article 29 de la Déclaration souligne les devoirs de chacun vis-à-vis de la communauté, seul lieu où le libre développement de la personnalité est possible. René Cassin a d’ailleurs formulé simplement, mais avec force, cet aspect de la Déclaration : " Tes droits sont mes devoirs, tes devoirs sont mes droits ". L’individu peut se sentir menacé par l’Etat ou écrasé par les grandes sociétés transnationales et les institutions financières internationales. Mais le message de l’Article 29 est clair. Il rappelle, à une époque de confusion morale et éthique, que nous sommes les membres d’une seule et même famille humaine avec des droits communs et des obligations. A l’avenir, ce sentiment d’appartenir à une même famille pourrait être une force puissante de consolidation et de défense des droits de l’homme.

Forger un partenariat entre les différents acteurs (les Etats, les institutions régionales, les sociétés transnationales, les organismes multilatéraux, les ONG, les individus) ne sera pas une tâche facile. Mais je m’engage, en ma qualité de Haut Commissaire aux droits de l’homme, à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour encourager l’établissement de tels partenariats. Pour les victimes des violations des droits de la personne, je m’engage à être un témoin et une voix, à être le meilleur garant et le plus grand défenseur de leurs droits.

V. Conclusion

Prédire ce qui nous attend est une tâche difficile. Qui aurait pu envisager, il y a cinquante ans, les progrès technologiques que nous avons connus, la révolution de l’information, la conquête de l’espace ? Ces progrès peuvent avoir des avantages multiples tels qu’accroître la rapidité de la transmission de l’information en matière des droits de l’homme. A cet égard, je me félicite du projet des autorités françaises initié par le Président Badinter, de créer une Encyclopédie universelle des droits de l’homme sur Internet, dont le siège serait à Ferney Voltaire.

En ce cinquantième anniversaire, la tâche essentielle qui nous incombe est de donner un nouveau souffle à cette Déclaration, afin de pouvoir relever les défis de l’avenir, tout en restant fidèle aux principes fondamentaux. Il se peut que les valeurs morales et éthiques soient moins consensuelles aujourd’hui, mais cela ne doit pas nous dissuader. Notre point de départ est le même que celui des rédacteurs de la Déclaration, à savoir que tous les êtres humains sont nés libres et égaux en dignité et en droits.

Si nous poursuivons notre action sur ces fondations, sur les principes de respect de l’individu et des différentes cultures, et sur la reconnaissance de notre interdépendance dans le monde, alors nous serons sur le bon chemin pour donner réalité à la vision d’il y a un demi-siècle.

J’aimerais terminer par ces mots de René Cassin : " L’essentiel est que nous nous sentions, en toutes circonstances, les serviteurs d’une grande cause et que notre conscience ne devienne jamais indifférente – même par l’excès de l’horreur – aux injustices et aux souffrances qu’il eût été possible d’épargner à d’autres hommes par un effort fraternel. Aucun de nous n’a le droit d’être en repos en face de l’oppression ou de la misère (…). Toute grande injustice commise en un pays offense en tous lieux le Droit de l’Humanité ".